Tetart (Jules Louis, dit René Tetart), chef du Service photo-cinématographique de l’Indochine




Indochine, 1917-1926

Sources :

FR ANOM, 30 et 31 Fi ; 8Fi269, 335, 483 485 à 488 ; 88Fi pour les cartes postales

FR ANOM Fonds ministériel, Agence économique de la France

d’outre-mer 24, 774, 780, 781, 794, 796, 800, 809, 813, 821, 823, 845, 908, 952

FR ANOM, Fonds ministériels, Série géographique, Indochine nouveau fonds 390

FR ANOM, Indochine Gouvernement général 1587-1606, 2670, 3414, 3415, 15575, 16057, 34597

Bibliographie :

Le Monde colonial illustré, 1929-1930

Peter BLOOM, A travers le miroir cinématographique : faire connaître la France aux colonies et les colonies à la France

André TOUZET, Une Œuvre de guerre et d’après guerre : la Mission photocinématographique du Gouvernement général de L'Indochine

1922. L'exposition nationale coloniale de Marseille décrite par ses auteurs, Marseille, Commissariat général de l'exposition

On ne sait pas la carrière de René Tetart avant qu'il ne soit enlevé au Service photographique des Armées et engagé sous contrat par le gouverneur général de l’Indochine Albert Sarraut (arrêté du 19 décembre 1916) qui le charge d’une mission photographique et cinématographique, en compagnie de deux autres photographes, Lacroix et de Brun. Peut-être est-il le fils du capitaine Georges Louis Anatole Tetart (né le 18 août 1859 à Aisonville-et-Bernoville, Aisne, titulaire de la Légion d'honneur), en poste dans les Tirailleurs tonkinois, au Tonkin, en 1898, qui fait une partie de sa carrière en Indochine et sera général. A son recrutement, René Tetart était donc soldat du Service photographique de l’Armée, tandis que Lacroix et Brun appartenait au Service cinématographique. Ils sont chargés de “ prises de vues photographiques et cinématographiques relatives aux ressources économiques, à l’ethnographie des populations et aux questions se rattachant à la meilleure connaissances du pays et de ses ressources ”. Ils doivent également montrer aux Indochinois la participation à l’effort de guerre et au travail dans les arsenaux que leurs compatriotes réalisent en France. De ces trois personnes, seul René Tetart restera jusqu’à la fin de la mission en avril 1926. Il se charge des prises de vues en photo et au cinéma, et effectue également des tournées de propagande pendant lesquelles il se transforme en projectionniste. Il semble avoir joui d’une liberté extrême dans le choix de ses reportages. Après le début de cette mission entièrement passée en Annam (1917-1919), il parcourt le Cambodge, la Cochinchine, le Laos, le Tonkin et les provinces chinoises sous protectorat français (Kouang-Tchéou-Wan et Yunnan), en donnant des représentations de cinéma. Des opérateurs et des photographes vietnamiens le secondent, comme on peut le constater sur les clichés pris à ces occasions.

René Tetart est en Indochine jusqu’à l’automne 1921 ; c’est alors qu’il rentre en France, en compagnie de sa femme, son premier contrat étant venu à expiration. Sans doute juge-t-on alors sa collaboration indispensable, car il est immédiatement réengagé : pour assurer la réalisition de l’exposition photographique sur l’Indochine, et l’intégralité du reportage sur l’exposition coloniale de Marseille ; ses clichés seront publiés dans le catalogue officiel du Commissariat central de l'exposition. Dès le mois d’avril 1921, le commissaire général pour l’Indochine a réclamé sa présence à Marseille pour l’organisation du Service photographique. Il a même suggèré que celui-ci viennent avec ses clichés (sur plaques de verre) pour en exécuter les tirages dans un atelier à installer à Marseille.

En fait, une correspondance de novembre 1921 précise que Tétart arrive en France avec les films tournés en Indochine par la mission cinématographique du gouvernement général (trois caisses pesant 120 kg), du matériel pour organiser l’atelier photographique à Marseille, et les vues photographiques qu’il a déjà réalisées : le nombre des clichés peut être évalué à environ 5000. Un jeu d’épreuves est resté sur place, à Hanoi, par mesure de sécurité. Les listes établies par le photographe comportent 23 thèmes pour le Tonkin, dont le portrait du gouverneur général, Maurice Long, 11 thèmes pour la Cochinchine, 15 thèmes pour l’Annam, 10 thèmes pour le Cambodge, 16 thèmes pour le Laos, chacun d’entre eux étant représenté par plusieurs tirages. A la veille de l’ouverture de l’exxposition, il est prévu de faire procéder d’urgence à l’inventaire des appareils, films, clichés en noir, clichés autochromes du service photo-cinématographique de M. Tetart (16 mai 1922), en vue de leur assurance.

Les correspondances échangées entre le chef du Service photocinématographique et le commissaire général de l’Indochine pour l’exposition de Marseille montrent l’importance du travail assumé par le premier. Achats de pellicules vierge à la maison Pathé Consortium Cinéma, avec son collaborateur Tinh, engagement du personnel qui l’aide à l’atelier marseillais (Roffe, puis Benedite, comme opérateurs photographes), achat du mobilier nécessaire à l’atelier, y compris une table suffisamment solide pour supporter une presse à coller à chaud pesant 90 kg, commandes multiples de matériel photographique (comme par exemple des verres doucis 18x24 pour doubler les diapositives, les porte-clichés nécessaires pour la lanterne d’agrandissement, les feuilles de papier Kodak Kodura blanc lisse). En février, il se rend compte que le manque de recul et les hauteurs des tours d’angle des Palais de l’Indochine nécessitent, pour avoir de bons documents photographiques, la possession d’un objectif d’un foyer concordant : il achète alors chez Demaria (rue de Clichy, à Paris) un objectif Delta Fb 240m/m.

A lire les courriers officiels ainsi échangés, on se rend compte de la façon dont il travaille pour l’Agence économique de l’Indochine, délégation de l’Agence générale des colonies créée en 1919 pour ce territoire. Tetart note en février 1922 qu’elle possède des films négatifs, tous relatifs au gouverneur Maurice Long. Mais plusieurs autres sont en dépôt chez Gaumont. Il précise ensuite : 18 négatifs..tournés à mon premier séjour en Indochine (1920), ont été cédés aux établissements Gaumont et sont devenus leur propriété. L’Agence en détient deux copies, mais l’une doit être envoyée à Hanoi où le gouverneur général Maurice Long la réclame. Il réalise pour l’Agence, à partir des négatifs sur plaques de verre qu’il a apportés avec lui, des épreuves en grand nombre sur des sujets différents, et ensuite des photos du Palais de l’Indochine, documents qui seront utilisés pour les publications de l’exposition. Il adresse directement à la maison Piron, deux photographies de l’empereur d’Annam, Khai Dinh, avec indication du coloris des costumes que madame Mascre me demandait, et cette indication des couleurs figure aussi au dos de toutes les photographies des souverains car ce sont des renseignements utiles au portraitiste. Ces détails peuvent indiquer soit que l’on colorise certains clichés, soit qu’ils servent de modèle à des peintres pour réaliser des portraits officiels. Le Tonkin, à lui seul, est représenté par 1019 épreuves en 13/18, auxquelles il faut ajouter 13 plaques diapositives 81/2x10 pour projection, qui toutes concernent la culture du coton à Phong-Tho (province de Lao-Kay, dans le Haut-Tonkin).

Et Tetart nous livre sa méthode de classement : elles mentionnent un numéro au dos qu’il suffit de m’indiquer pour l’établissement des légendes et de la localité où la prise de vue a été effectuée. Il fait procéder à l’envoi de matériel de classement, resté à Hanoi, qui sera acheminé par son dernier opérateur resté encore sur place : Le Service photocinématographique possède actuellement près de 6000 clichés traitant la documentation de l’Indochine. Ces clichés actuellement placés les uns sur les autres risquent dans leur manipulation constante de se détériorer…Il serait de toute nécessité que ces clichés soient convenablement classés dans des boites à rainures affectées à cet usage. Il décide aussi de faire venir de Hanoi une tireuse Calmels complète, une lanterne d'agrandissement complète, un objectif Dalmeyer foyers multiples et des cuves de lavage. Les clichés sont placés dans les boites suivant leurs dimensions et leur lieu d’origine (province ou pays). Dans le registre d’inventaire, Tetart a inscrit, au regard du numéro d’ordre, la légende précisant et déterminant le sujet de chacun d’eux. En parallèle on procède au tirage de chaque plaque pour constituer un répertoire méthodique et logique de toute la documentation. Ce répertoire est fait sur fiches. Il y a donc deux entrées possibles : l’une géographique, l’autre thématique.

Compte tenu de l’ampleur du travail que représente l’exposition, Tetart a besoin d’aide, et une petite annonce est passée dans Le Petit Marseillais, pour recruter des opérateurs supplémentaires. Ils viennent renforcer l’équipe des collaborateurs vietnamiens, Vu Dinh Chinh, Nguyen van Tinh, et Nguyen van Chunh, venus avec leur chef de service. Deux photographes marseillais, Abeille et Trucy, offrent leurs services.

Ajoutons enfin que Tetart a également la charge d’un cinéma, qui offrira gratuitement aux visiteurs du Palais de l’Indochine plusieurs séances par jour. Tetart rentre à Hanoi à la fin de l’année 1922. Il se charge ensuite de prises de vues photographiques en prévision de l’exposition coloniale de Paris (1931), en compagnie de Léon Busy pendant un certain temps. Ces clichés illustrent, aussi, un article de Ludovic Nadeau paru dans L’Illustration, en 1922 (2e semestre).

Du point de vue touristique et du point de vue ethnographique, Tetart semble avoir rempli son rôle. Garnier le critique pour la documentation scientifique et économique. Il ajoute : je vous adresserai dans le plus bref délai une nomenclature de ce qui manque actuellement et serait utile au premier chef. Ce n’est pas Tetart qui réalisera ce supplément. Le Service photocinématographique, en effet, est dissout, en avril 1926 par le gouverneur général Varenne. C’est la section photo de l’Aéronautique militaire de l’Indochine qui prend en charge la mission sur le plan cinématographique. René Tetart publie en partie ses clichés dans un ouvrage sur l’Annam, en 1919, et surtout devient aussi éditeur de cartes postales (installé rue Paul-Bert, à Hanoi). Cela tendrait à faire penser qu’il a conservé une partie des clichés réalisés au cours de ses missions. Toutefois, il ne semble pas rester à Hanoi très longtemps. Deux indices sont donnés de son départ d’Indochine. D’une part les cartes postales qu’il a éditées sont vendues dès le début des années 1930 par son collègue Huong Ky, avec la mention en surcharge de son nom suivi des précisions : Photographie d’Art Hanoi en gros et en détail. D’autre part son rival Léon Busy devient, en quelque sorte, son successeur comme chef de la Section photographique à partir de mai 1926, section rattachée dans un premier temps à la Direction des Mines, et ensuite à l’Office indochinois de tourisme et de propagande.